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samedi 30 août 2014

Les tâches ménagères à l'aune de l'impermanence


      Jusqu'à quel point devons-nous nous imprégner de l'impermanence ? Il nous faut avoir la conviction de Guéshé Kharak Gomchoung. Il était allé méditer dans les solitudes de Jomo Kharak, dans la province de Tsang. Devant l'entrée de sa grotte, il y avait un buisson épineux qui arracha son vêtement. Il commença par se demander s'il fallait le couper, puis se dit : « Après tout, il se peut que je meure à l'intérieur de la grotte, je ne sais pas si j'en sortirai ; il est plus important que je m'occupe de ma pratique ». Et il laissa le buisson. Comme il passait sa porte à nouveau, le même épisode se reproduisit et il songea cette fois qu'il ne savait pas s'il retournerait à l'intérieur... C'est ainsi que nombre d'années passèrent et qu'il devint un maître spirituel accompli. Quand il s'en alla, le buisson était toujours là.

          Mon maître racontait aussi une histoire au sujet du Vidhyâdhara Jigme Lingpa. Il n'y avait pas de marches pour descendre à l'étang au bord duquel il demeurait en automne, pendant le passage de l'étoile rishi, ce qui en rendait l'accès et le séjour très difficiles. Mais lorsqu'on lui demanda s'il fallait faire un escalier, il répondit : « Pourquoi tant de peine alors que vous ne savez même pas si vous dormirez ici l'an prochain ? ». Ainsi parlait-il sans cesse de l'impermanence.


Jigme Lingpa (1729-1798)

Extrait de : Patrül Rimpotché, Le chemin de la grande perfection, éd. Padmakara, Saint-Léon-sur-Vézère (France), 1997,  p. 98.



         Ce passage où le lama tibétain du XIXème siècle, Dza Patrül Rimpotché, parle de l'impermanence m'a toujours impressionné. Quand on médite l'impermanence, on change complètement son point de vue sur la valeur et l'importance des choses. Pour deux grands maîtres comme Guéshé Kharak Gomchoung (un maître de l'école des Kadampa qui a vécu au Xième s.) et Jigme Lingpa (un maître de l'école des Nyingmapa qui a a vécu au XVIIIème s.), les commodités matérielles n'étaient pas si importants au vu d'une conscience aiguë de l'impermanence : si tout va disparaître, notre logement que l'on occupe maintenant, la situation actuelle dans laquelle nous vivons et notre vie qu'il faudra tôt au tard quitter, pourquoi être obsédé par des travaux et des aménagements ? Ces travaux et ces aménagements vont nous prendre énormément de temps et d'énergie, alors que la vie est brève et que nous avons encore énormément de progrès à faire dans la méditation : développer notre attention à ce qui est, cultiver l'amour bienveillant (maitri), la compassion (karuna), la joie (mudita) et l'équanimité (upeksha) à l'égard de tous les êtres dans toutes les directions de l'univers, établir la vision pénétrante et produire l'esprit d’Éveil (bodhicitta)....

         Très souvent, j'ai été frappé par la crispation sur la propreté et l'apparence matérielle que l'on pouvait trouver dans un centre tibétain ou dans les centre zen. Cela contraste complètement avec l'attitude de Kharak Gomchoung ou de Jigme Lingpa. Il y a souvent une injonction très ferme à ce que tout soit nickel chrome dans ces centres. On en vient même à justifier cela de manière spirituelle : « c'est pour honorer les bouddhas »... Alors qu'en réalité, il s'agit surtout la volonté mondaine de faire bonne impression. Cela ne devrait pourtant pas être notre obsession : notre obsession devrait être de pratiquer la méditation afin d'améliorer nos qualités humaines et de progresser dans la compréhension de la réalité absolue. Ne confondons pas Bouddha et fée du logis !

         Je ne serai pas extrême au point de dire qu'il ne faut jamais faire le ménage. On peut bien sûr ranger, faire la vaisselle ou nettoyer quand c'est nécessaire. Et on peut le faire en développant la pleine conscience à ce que nous faisons, en restant détendu sans être crispé parce qu'on est conditionné à croire que tout doit être nickel chrome et que l'apparence de notre maison doit être étincelante comme dans une publicité pour des produits ménagers. De même, si quelque chose n'est pas parfait dans notre maison ou dans notre jardin comme un arbuste mal placé, un mur à rafraîchir ou une cuisine à relooker intégralement pour correspondre aux dernières tendances de la mode, il faut se demander quelle est vraiment la priorité. Ces choses peuvent apparaître importantes dans l'instant, mais tout est impermanent. Cette méditation sur l'impermanence relativise complètement l'urgence de ces considérations matérielles !





Jigme Gyalwé Nyougou, disciple de Jigme Linga
et maître de Patrül Rimpotché




Dza Patrül Rimpotché ( (1808–1887)







Autres citations de Dza Patrül Rimpotché:

la compassion envers les êtres sensibles, et notamment les animaux

le conte de Lune Célèbre
l'ironie grinçante du destin
La Voie du Milieu dans la méditation
La toute simplicité
Esprit d’Éveil

Autres citations sur l'impermanence et la mort :
 - l'oubli de la mort (I, 6)
Méditer longuement l'impermanence
nonchalant de la mort comme de son jardin
Voir tous les articles et les essais du "Reflet de la lune" autour de la philosophie bouddhique ici.

Voir toutes les citations du "Reflet de la Lune" ici.

1 commentaire:

  1. Je ne cesse de découvrir encore et encore.... que votre blog est "riche" , bravo pour votre magnifique "travail" à un de ces prochains jours vous.

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