Pages

samedi 4 juillet 2015

La toute simplicité

 Voici comment Patrül Rimpotché enseigna l'éveil à son disciple Nyoshül Lungtok Tenpe Nyima (1829-1901): 

   Chaque soir, au coucher du soleil, Patrül faisait une session de méditation sur la pratique de Namkha Sumtruk, étendu sur le dos sur un tapis de laine neuf posé sur un bout de terrain herbeux de la dimension d'un homme. Un soir qu'il était couché là, comme à l'ordinaire, il demanda à Lungtok:
    
« Lungche (cher Lung) ! As-tu dit que tu ne connaissais pas la véritable nature de l'esprit? Oh, il n'y a rien là qui ne doive être connu, dit Patrül. Viens donc ici ».

    Lungtok s'approcha.
« Étends-toi là, tout comme moi, continua Patrül, et regarde le ciel». 

    Lungtok s'exécuta, et la conversation continua:
« Vois-tu les étoiles dans le ciel!
- Oui.
- Entends-tu les chiens qui aboient au monastère de Dzogchen au loin?
- Oui.
- Eh bien, c'est cela la méditation ».

   A cet instant, Lungtok accéda à la confiance dans la réalisation en tant que telle. Il avait été libéré des chaînes conceptuelles de "est" ou "n'est pas". Il avait réalisé la sagesse primordiale, l'union nue de la vacuité et de la conscience intrinsèque, l'Esprit de Bouddha.»

Tulku Thondup, Les maîtres de la Grande Perfection, traduction par Nathalie Koralnik, éd. Le Courrier du Livre, Paris.



Michael Shainblum, Self Portrait over the Anza Borrego Badlands




   C'est un passage typique de l'esprit du Dzogchen que ne renierait pas un maître Zen. Contempler la réalité absolue dans la simplicité totale des manifestations sensorielles. Être touché par les étoiles, laisser filer les bruits environnants, éprouver la sérénité de l'expérience de non-dualité. Dza Patrül Rimpotché a ouvert à son disciple un champ d’Éveil spontané. À lui de voir, à lui d'entendre.


   La méthode du Dzogchen pour introduire le disciple à la vérité ultime est originale et mérite d'être expliquée. Le bouddhisme du Grand Véhicule connaît deux voies pour atteindre l’Éveil : la voie graduelle où l'on se rapproche de l’Éveil progressivement, en franchissant les paliers un à un grâce à une longue et patiente persévérance et la voie subite où l'on considère que l’Éveil étant par essence libre et inconditionné, il ne peut pas être atteint par des pratiques spirituelles qui sont autant d'actes conditionnés et où l’Éveil se gagne d'un seul coup, par un saut ou un basculement soudain, dans notre véritable nature. Le Dzogchen, plutôt que de trancher dogmatiquement pour l'une ou l'autre voie, trouve plus sage de jouer sur les deux tableaux : on introduit soudainement le disciple à la véritable nature de l'esprit. S'il réalise cette nature, c'est très bien, son esprit s'éveille spontanément à la Grande Perfection. Mais s'il ne s'éveille pas directement, ce n'est pas grave ; il pourra cheminer graduellement en suivant les enseignements des soûtras et des tantras et agir sur les conditionnement qui l'empêche de voir ce qui est véritablement. Il faut parfois passer par la complexité pour s'éveiller à la simplicité.



   La toute simplicité du déploiement des phénomènes.




Michael Shainblum



    J'avoue au passage avoir piqué l'idée de cette histoire de Dza Patrül que je connaissais déjà, au très intéressant blog de José Le Roy, Eveil et philosophie, dont voici le lien: 
http://eveilphilosophie.canalblog.com/archives/2015/06/27/32280372.html



Voir tous les articles et les essais du "Reflet de la lune" autour de la philosophie bouddhique ici.


Voir toutes les citations du "Reflet de la Lune" ici.





2 commentaires:

  1. Wahou vrai que le blog de José le Roy est hyper bien, merci pour le lien , merci pour la belle histoire de Dza Patrül que je ne connaissait pas . Au plaisir :)

    RépondreSupprimer