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mercredi 15 avril 2015

Qu'est-ce que la compassion?






      Hier je discutais avec un ami à propos de la méditation ; et nous en sommes venus à parler de la compassion. Il me disait que la compassion était pour lui un idéal dur à atteindre : en écoutant les informations sur le crash de l'avion de la German Wings dans les Alpes il y a deux semaines. Il m'a dit qu'il ne parvenait pas à éprouver une détresse réelle face à cette tragédie car il avait trop de soucis et de tracas dans sa vie. Je lui ai alors répondu que ce n'était pas le but de la compassion. S'il fallait éprouver une détresse écrasante chaque fois que quelque chose de terrible se produit dans le monde, on ne s'en sortirait pas ! Le monde est tellement traversé par les troubles, les drames et la souffrance. Des milliards d'êtres humains souffrent et connaissent la misère en ce moment même ; et je ne parle même pas des animaux qui souffrent le martyre dans tous les coins de la planète.

    Dans la philosophie bouddhiste, la compassion est définie comme le souhait ardent que les êtres sensibles soient libérés de la souffrance et des causes de la souffrance. Cela implique une bonne dose d'empathie car il faut pouvoir comprendre ce que les autres ressentent, mais cela n'implique pas de ressentir la même souffrance ou de se lamenter comme si c'était notre propre mère qui était accablée par les tourments. En fait, dans le bouddhisme, la compassion va de pair avec le détachement. Ce sont les liens d'attachement qui nous emprisonne dans la détresse. Ces liens d'attachement sont les causes de la souffrance. S'en libérer en vivant dans le détachement permet de se libérer de la souffrance elle-même. Il faut commencer par se détacher en se rendant indifférent à soi-même et à ce qui nous arrive de bien ou de mal, puis en se détachant de tout ce qui affecte dans le monde.


    On pourrait dire qu'il s'agit là de l'indifférence froide et glaciale de l'égoïste qui ne soucie que de lui-même et de son propre intérêt au détriment de ce que peuvent éprouver les autres. Mais c'est là tout le contraire : l'indifférence est d'abord une indifférence à soi-même, un oubli de soi qui nous libère de l'égocentrisme et de la vision qui rapporte tout à soi. Cela crée un espace immense où peut se déployer la compassion. Le Bouddha parle de développer une compassion illimitée ou compassion incommensurable. Dans la méditation, on développe cette compassion en souhait qu'un nombre toujours croissant d'êtres sensibles, hommes ou animaux, soient délivrés de la souffrance. On répand cette compassion dans toutes les directions du monde, en haut, en bas, devant vous, à gauche, à droite, derrière ; et il faut s'entraîner à cette compassion encore et encore pour qu'elle prenne vigueur et force dans notre esprit, qu'elle envahisse chacune de nos pensées, chacune de nos considération, chacun de nos jugements sur nous-mêmes et les autres. La compassion ne doit pas rester un mot et s'incarner concrètement dans nos existences, nos attitudes et nos gestes. Cette compassion qui croît dans la méditation doit imprégner physiquement notre vie.









    Cette compassion-là n'est pas quelque chose qui nous accable et nous fait tirer une gueule d'enterrement. Nous n'avons pas le temps d'être atterré. La compassion véritable apporte un souffle de joie bienveillante au monde. C'est peut-être difficile à comprendre parce que nous associons la compassion à l'attachement affectif que nous avons pour nos proches et qui fait que nous partageons la douleur de nos proches comme un fardeau existentiel que nous avons le devoir de porter. Mais le détachement nous libère de nos liens d'attachement émotionnel, libérant du même coup une compassion plus large et plus vaste. En même temps, cette compassion illimitée apaise les attachements affectifs qui sont cause de douleur pour soi-même et autrui. La compassion illimitée prônée par le Bouddha ne rejette pas la bienveillance pour nos proches, nos amis et nos parents, mais elle dépasse largement cette compassion limitée à quelques personnes et nous met en contact avec une dimension autrement plus vaste et divine de l'existence.    













D'autres textes à propos de la compassion: 

- La compassion selon Shabkar
- Soulager l'infinité des êtres
- Méditation des Quatre Incommensurables
- Bodhicitta : le désir d'apaiser les souffrances de tous les êtres vivants
- En quoi la bodhicitta est salutaire
compassion et vacuité
la compassion envers les êtres sensibles, et notamment les animaux
la vache qui pleure



Voir aussi: 
- Nés pour collaborer
- Rien n'est plus utile à l'homme que l'homme
- Il n'y a pas de remède à l'amour si ce n'est d'aimer davantage
- Spinoza: comprendre les actions humaines
- La parabole des hérissons 
- Comme un éclair déchire la nuit (I,5)
- Vaincre la grande force du mal (I,6)
- La masse illimitées des êtres atteindra la suprême félicité (I,7)
feuille de papier
le veau que la mère reconnait entre tous 








Voir tous les articles et les essais du "Reflet de la Lune" autour de la philosophie bouddhique ici.

1 commentaire:

  1. Merci pour ce texte qui éclaire la difficile question de la compassion

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