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samedi 26 novembre 2016

Absence



Pendant longtemps j’ai cru que l’absence est manque.
Et je déplorais, ignorant, ce manque.
Aujourd’hui je ne le déplore plus.
Il n’y a pas de manque dans l’absence.
L’absence est une présence en moi.
Et je la sens, blanche, si bien prise, blottie dans mes bras,
que je ris et danse et invente des exclamations joyeuses,
parce que l’absence, cette absence incorporée,
personne ne peut plus me la dérober.

Carlos Drummond de Andrade, « La machine du monde : Et autres poèmes ».





Carlos Drummond de Andrade





      La plupart des gens fuient la solitude pour ne pas affronter ce sentiment d'absence qui peut les tarauder des jours et des nuits durant. L'absence est ce manque cruel de ceux qu'on aime, de ceux ou celles qu'on désire, de ceux ou celles qui nous font rêver, de ceux ou celles qui nous compléteraient dans notre inachèvement existentiel, qui auraient ce pouvoir de nous octroyer ce sentiment de plénitude. C'est pourquoi, le plus souvent, on déplore souvent ce manque, cette absence. Malédiction et traversée cruelle du désert, voilà comment on voit généralement ce manque, cette absence.


     Pourtant, il y a une autre façon de vivre l'absence, une autre façon de l'habiter. Si on ne cherche pas désespérément à fuir cette absence, si on laisse ce vide en nous se déployer calmement, si on laisse cette douce mélancolie des personnes seules en ce monde se répandre comme les volutes de fumées dans l'air, alors on peut changer de regard sur cette absence. On sent qu'il y a une présence dans l'absence, présence des personnes qu'on aime et qui habitent notre cœur. En ce sens, l'absence représente plus que la simple présence, parce que quand on est en compagnie de quelqu'un, on est seulement en présence de cette personne, tandis que dans la solitude, il y a l'absence, mais aussi la présence de ceux qui nous hantent. Et cette absence-là, pleine de présences, de lieux, de moments et de gens, pleine d'un sentiment joyeux et bienveillant, personne ne peut vous l'enlever, ni vous la dérober. Voilà un cheminement poétique de l'absence, du manque à la joie.




Henri Cartier-Bresson, Paris, 1953




Voir toutes les citations du "Reflet de la Lune" ici.


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