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mardi 27 septembre 2016

Le courage de la goutte d'eau


Le courage de la goutte d'eau, c'est qu'elle ose tomber dans le désert.

Proverbe chinois




 Hougaard Malan - Dans le désert de Namibie






     J'aime ce proverbe que l'on attribue à l'écrivain chinois Lǎo Shě (老舍, 1899-1966), car il exprime une vertu essentielle du véritable courage : oser agir là où toutes les actions peuvent sembler vaines. Agir là où on ne verra pas tout de suite de résultat et où personne ne nous épaulera dans l'accomplissement de la tâche. L'essentiel est de persévérer dans ce qui est juste. Fertiliser les terres arides.

  Le courage ainsi compris flirte toujours avec le découragement. On pratique le bien et rien ne vient. Par moment même, les ennuis s'amoncellent au lieu de se résorber. Il est facile de fanfaronner et de prendre des poses héroïques ; beaucoup plus dur est de traverser les difficultés avec la même foi dans le progrès de l'humanité qu'au premier jour. En fait, chaque fois qu'on se sent abattu, il faut laisser notre « soi » mourir à lui-même, laisser ce « soi » brûler dans le feu du désespoir ; et pus patiemment, répandre dans le monde la bienveillance infinie, la compassion infinie, la joie infinie et l'équanimité infinie, et renaître de ses cendres comme une nouvelle aube. Avoir à nouveau l'envie de se relever et d'apporter une force de vie au monde.








Désert de Pilbara, Australie occidentale








Voir aussi : 


- Soûtra d'Udaya et son commentaire "Encore et encore"

     Pour le Bouddha, il faut avoir le courage de renouveler son effort encore et encore.




     Selon Etty Hillesum, surmonter les heures noires du désespoir en se rappelant que la vie est une choses merveilleuse et grande. "Nous avons le droit de souffrir, mais pas de succomber à la souffrance". 



- Joie

   La joie sacrée qui anime le méditant et pratiquant du Dharma.





    Balzac disait : "La résignation est un suicide quotidien". Mais peut assimiler l'acceptation à la résignation ?





   Poème de Victor Hugo








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dimanche 25 septembre 2016

Méditation et technique





   J'ai récemment posté un article intitulé « Simplement s'asseoir » où je me posais la question si la méditation devait s'accompagner de ritualisation (j'avais pris l'exemple des rites qui accompagnent le zazen dans le Zen Sōtō, mais j'aurais tout aussi bien pu prendre l'exemple du bouddhisme tibétain...) ou si la méditation devait se faire comme une chose spontanée, simplement s'asseoir pour reprendre un adage Zen. Une internaute a réagi sur les réseaux sociaux en écrivant ce petit commentaire : « Méditer, ce n'est pas forcément être assis sur l'herbe ou un coussin dans un temple ou un monastère....... c'est être présent... à l'écoute de ce qui nous entoure.... aux pensées qui passent tels des nuages..... ne rien retenir.... laisser circuler.... et surtout ne pas s'obliger à suivre une technique.... ».

jeudi 22 septembre 2016

L'attention au souffle








      Dans l'Ānāpānasati Sutta (le Soûtra de l'Attention au Va-et-vient du Souffle), le Bouddha recommande 16 exercices spirituels de méditation afin de mieux focaliser son attention. Chaque fois que nous inspirons et que nous expirons, nous pouvons adjoindre à ce mouvement du souffle dans et en-dehors de nos poumons une petite phrase qui va nous aider à focaliser notre attention.

    Les 4 premiers exercices sont reliés à l'attention au corps :


1. En inspirant longuement, il sait : ‘J’inspire longuement’. En expirant longuement, il sait : ‘J’expire longuement’.
2. En inspirant brièvement, il sait : ‘J’inspire brièvement’. En expirant brièvement, il sait ‘J’expire brièvement’.
3. ‘J’inspire et je suis conscient de tout mon corps. J’expire et je suis conscient de tout mon corps’. C’est ainsi qu’il pratique.
4. ‘J’inspire et j’apaise tout mon corps. J’expire et j’apaise tout mon corps’. Ainsi pratique-t-il.


Les 4 exercices suivant sont reliés à l'attention aux sensations :


5. ‘J’inspire et je me sens joyeux. J’expire et je me sens joyeux’. Ainsi pratique-t-il.
6. ‘J’inspire et je me sens heureux. J’expire et je me sens heureux’. Ainsi pratique-t-il.
7. ‘J’inspire et je suis conscient de mes formations mentales. J’expire et je suis conscient de mes formations mentales’. Ainsi pratique-t-il.
8. ‘J’inspire et j'apaise mes formations mentales. J’expire et j'apaise mes formations mentales’. Ainsi pratique-t-il.




Les 4 exercices suivants sont reliés à l'attention à l'esprit :


9. ‘J’inspire et je suis conscient de mon esprit. J’expire et je suis conscient de mon esprit’. Ainsi pratique-t-il.
10. ‘J’inspire et je rends mon esprit heureux. J’expire et je rends mon esprit heureux’. Ainsi pratique-t-il.
11. ‘J’inspire et je concentre mon esprit. J’expire et je concentre mon esprit’. Ainsi pratique-t-il.
12. ‘J’inspire et je libère mon esprit. J’expire et je libère mon esprit’. Ainsi pratique-t-il.




Les 4 derniers exercices sont eux reliés à l'attention aux objets de l'esprit.


13. ‘J’inspire et j’observe la nature impermanente de tous les phénomènes. J’expire et j’observe la nature impermanente de tous les phénomènes’. Ainsi pratique-t-il.
14. ‘J’inspire et j’observe l’extinction. J’expire et j’observe l’extinction’. Ainsi pratique-t-il.
15. ‘J’inspire et je contemple la cessation. J’expire et je contemple la cessation’. Ainsi pratique-t-il.
16. ‘J’inspire et je contemple le lâcher-prise. J’expire et je contemple le lâcher-prise’. Ainsi pratique-t-il.




*****




      Il serait intéressant de lire ces 16 exercices, de les relire fréquemment et même de les connaître par cœur pour les avoir à disposition quand on pratique la méditation. Ces 16 pratiques couvrent tous les aspects de l'existence sur lequel il est bon de se focaliser pour progresser sur le chemin de la méditation. Il est bon de les connaître et de pouvoir en disposer comme un ouvrier dispose de ses outils dans sa boîte à outils. On peut aussi réciter le Soûtra de l'Attention au Va-et-Vient de la Respiration. Certes, sa structure est assez répétitive, mais justement cette répétition a le mérite de faire comprendre qu'il faut sans cesse revenir à ces différents points de l'attention pour aller toujours plus loin dans le pouvoir de la vision pénétrante. Par ailleurs, le soûtra met en perspective ces 16 techniques de l'attention au souffle avec d'autres techniques de méditation bouddhiste. Le soûtra indique également la finalité de ces techniques, produire ainsi les sept facteurs de l’Éveil afin de connaître la sagesse et la libération du cycle des existences.


     Les 4 premières exercices se rapportent à l'attention au corps. Le corps est la base de notre expérience de la vie. Il est donc important de connaître ce corps et de l'observer dans ses moindres détails. Plus spécifiquement, le souffle est cet élément physiologique qui nous fait vivre et que, pourtant, nous négligeons la plupart du temps. C'est seulement quand on étouffe ou qu'on se retrouve sous l'eau que l'on prend conscience de la nécessité vitale de pouvoir inspirer et expirer l'air frais. Attention ! Le Bouddha ne demande pas de contrôler sa respiration, de respirer brièvement ou plus longuement. Il s'agit ici de prendre attention à ce phénomène qu'est la respiration, pas de vouloir le contrôler à tout prix. On entend parfois dans les cours de yoga qu'on va « apprendre à respirer ». C'est une ineptie : vous savez comment respirer. Si vous ne le saviez pas, vous seriez mort depuis longtemps. En fait, vous ne savez pas : la respiration se produit en vous, indépendamment de votre volonté. Elle se produit même quand vous n'y pensez pas. C'est ce phénomène étonnant de la respiration, si proche, et pourtant si méconnu, qu'il s'agit d'observer dans sa spontanéité première.


       Une fois que l'on a observé ce corps, on peut l'apaiser. C'est le sens du dernier des quatre exercices d'attention au corps : « J’inspire et j’apaise tout mon corps. J’expire et j’apaise tout mon corps ». Le corps est souvent le champ de bataille de nos émotions : gorges serrés, estomac noué, cœur qui bat la chamade, mais qui se crispent, etc... La méditation est le lieu où on peut laisser tout cela se dénouer. Ne plus alimenter cette tension du corps d'une part et les laisser se dissoudre dans la conscience silencieuse de l'instant présent d'autre part. Il s'agit d'entretenir une nouvelle relation à notre corps, plus apaisée.


      Les 4 exercices suivants se rapportent à l'attention aux sensations. On est constamment traversés de sensations physiques et mentales ; et celles-ci affectent grandement notre humeur. Il s'agit dans la méditation de comprendre qu'on peut être autre chose que le pantin de nos sensations. Ainsi les exercices 5 et 6 ont trait à la joie et au bonheur qui peut naître en méditation malgré les sensations douloureuses ou pénibles qui nous traversent : « J’inspire et je me sens joyeux. J’expire et je me sens joyeux. J’inspire et je me sens heureux. J’expire et je me sens heureux ». Là encore, ce n'est pas une joie et un bonheur qu'on impose au mental envers et contre tout. On a tous des moments où on est malheureux ; mais il y a des ressources positives au plus profond de nous-mêmes qui nous permettent d'affronter les difficultés, qui nous donnent des ailes pour aller au-delà des épreuves de l'existence. C'est cette joie-là et ce bonheur-là qu'il s'agit de découvrir et de sentir dans la méditation.


      Les sensations nous amènent de toutes sortes de réactions, parfois trop hystériques ou destructrices. Le premier temps est de prendre conscience comment nous réagissons à des stimulus sensoriels : « J’inspire et je suis conscient de mes formations mentales. J’expire et je suis conscient de mes formations mentales ». Puis, à partir, de cette prise de conscience, on peut graduellement apaiser notre manière de réagir aux événements : « J’inspire et j'apaise mes formations mentales. J’expire et j'apaise mes formations mentales ». Par exemple, au lieu de réagir à une insulte par une autre insulte, à un coup de poing par un autre coup de poing, à un coup de couteau par un autre coup de couteau, on apprend à dégager plus d'espace et à avoir une réaction plus constructive : entamer un dialogue, parer ou éviter un coup, calmer le jeu, apaiser les situations conflictuelles. Dans la méditation, il s'agira surtout d'apaiser toutes les pensées de vengeance, de ressentiment ou au contraire, se ressaisir face aux réactions dépressives ou désespérées face aux événements. On pourra aussi apaiser notre avidité par rapport à ce qui nous obsèdent et vivre dans le contentement de ce qu'on a, sans vouloir à tout prix toutes les richesses du monde.


     Les 4 exercices suivants se rapportent à l'attention à l'esprit. Là encore il s'agit de connaître et comprendre son propre esprit ainsi que le fonctionnement de son esprit, sa dynamique qui le conduit à produire telle ou telle pensée, telle ou telle émotion, à vivre dans le passé ou à fantasmer sur le futur. Cela correspond au vieil adage de l'oracle de Delphes : « Connais-toi toi-même ». À partir de cette connaissance intime de soi-même, peut rendre l'esprit heureux, plus à même de trouver des solutions aux défis de l'existence : « J’inspire et je rends mon esprit heureux. J’expire et je rends mon esprit heureux ». Étant plus satisfait de sa propre vie, ayant un mental plus radieux, on peut d'autant plus facilement concentrer cet esprit sur un point : « J’inspire et je concentre mon esprit. J’expire et je concentre mon esprit ». Cette concentration permet de franchir les étapes supérieures de la méditation, ce qu'on appelle les absorptions méditatives (dhyāna en sanskrit, jhāna en langue pâlie). « J’inspire et je concentre mon esprit. J’expire et je concentre mon esprit ». Cette capacité de se concentrer et d'entrer dans les hauts états d'absorption méditative permet aussi d'augmenter son pouvoir de se libérer des conditionnements de l'existence. « J’inspire et je libère mon esprit. J’expire et je libère mon esprit ».


      Les 4 derniers exercices se rapportent aux objets de l'esprit, à tout ce dont l'esprit peut prendre conscience. Le monde est bien trop vaste pour commencer à observer tous les phénomènes qui composent ; mais quand nous percevons quelque chose. On peut commencer par voir l'impermanence de ces phénomènes. Tout en ce monde est transitoire. Tout passe, rien n'est figé dans une existence durable. D'instant en instant, le monde et les choses changent. C'est pour quoi le Bouddha nous demande d'observer : « J’inspire et j’observe la nature impermanente de tous les phénomènes. J’expire et j’observe la nature impermanente de tous les phénomènes ». À partir de ce constat de l'impermanence, on peut commencer à se détacher par rapport à eux. Notre envie de se saisir d'eux s'estompe en nous : « J’inspire et j’observe l’extinction. J’expire et j’observe l’extinction ». On peut alors réaliser que tous les phénomènes arrivent tôt ou tard à leur cessation d'une part, et voir aussi que notre esprit est susceptible d'entrer dans le degré ultime de la méditation : la sphère méditative de cessation des sensations et des perceptions, qui correspond à la vision du Nirvāna. « J’inspire et je contemple la cessation. J’expire et je contemple la cessation ». Enfin, une fois que l'on a vu cet état de cessation des sensations et des perceptions, on regarde le monde beaucoup plus librement et on cultive le lâcher-prise par rapport aux phénomènes : « J’inspire et je contemple le lâcher-prise. J’expire et je contemple le lâcher-prise ».




*****


      Deux petites remarques pour conclure. Tout d'abord, en méditation, on n'est pas du tout obligé de pratiquer ces exercices dans l'ordre. Selon les besoins du moment, on utilisera tel ou tel exercice à la meilleure convenance. Parfois, il importera de se recentrer sur le corps. Parfois il faudra faire le point sur le mental. Parfois contempler l'impermanence des phénomènes nous apportera un bienfait ; à d'autres moments, ce sera le fait de cultiver la sensation de joie et de bonheur. C'est là tout un processus. Ces petits exercices sont là pour nous aider dans la méditation. Bien sûr, avec l'expérience et la sagesse, on apprendra à mieux utiliser ces exercices. Au début, c'est toujours un peu maladroit, mais il faut bien se lancer un moment où à un autre ! On ne devient pas un nageur hors-pair avec une seule séance à la piscine !


      Enfin, ces exercices mentaux impliquent de produire des pensées : « J'inspire et je.... J'expire et je... », alors que la méditation consiste à laisser passer les pensées qui nous obsèdent, un peu comme le ciel laisse passer les nuages sans s'accrocher à eux. C'est vrai, mais nous sommes tellement envahis par les pensées que nous avons besoin parfois d'une petite pensée qui va nous aider à nous recentrer sur nous-mêmes et la méditation. Si une pensée nous aide à éviter la dispersion des pensées, c'est une bonne chose. Pour autant, il ne faudrait pas non plus s'accrocher à ces techniques de méditation, croire qu'on est obligé de constater mentalement toutes ses inspirations et ses expirations avec ce genre de petites pensées. Si on est suffisamment détaché des pensées et concentré sur le moment présent, on peut observer silencieusement notre respiration et ce qui se passe en nous. Le Bouddha comparait la pratique du Dharma à un radeau. Le radeau sert à traverser la rivière, mais une fois la rivière traversée, rien ne sert de porter le radeau sur son dos ! Pareillement, ces seize techniques de méditation nous aident à nous concentrer ; mais une fois que cela est fait, on n'est pas obligé d'alimenter ces pensées et troubler le calme mental. Mais tôt ou tard, la dispersion et l'agitation reviendront ; à ce moment, on pourra reprendre l'un des 16 techniques de l'Ānāpānasati Sutta, la plus appropriée au moment présent.



     


     Voilà. Je souhaite à tous de progresser le plus loin dans la méditation. 



F.L., le 22 septembre 2016.









 Phra Ajan Jerapunyo, abbé de Watkungtaphao, en méditation










Pour un commentaire beaucoup plus détaillé des pratiques du Soûtra de l'Attention au Va-et-Vient de la Respiration, voir : 

En compagnie du souffle :  

     Commentaire au Soûtra de l'Attention au Va-et-vient de la Respiration 









Voir également : 


- Commentaires sur « L’Art de la Méditation » de Matthieu Ricard : voir le texte

     Pourquoi les enseignements du Bouddha sont-ils si rarement cités par les lamas du bouddhisme tibétains ? Est-ce que la méditation sur la nature de l'esprit n'occulte pas l'établissement de l'attention portée sur le corps (telle que le Bouddha l'enseigne dans le Soutra des Quatre Etablissements de l'Attention) ? Les soutras du Petit Véhicule ont-ils un intérêt dans la méditation sur la vacuité telle que l'expriment les soutras de la Perfection de Sagesse ? Comment intégrer les différents Véhicules du bouddhisme ?




Slowly, slowly, slowly.... : voir le texte
       Le progrès lent et graduel de la méditation. Comment arriver à la pleine conscience ?




Méditer à la piscine 

       Beaucoup de gens aiment faire quelques longueurs à la piscine pour se relaxer. C'est effectivement quelque chose de délassant de se baigner dans l'eau et d'activer l’entièreté de son corps. Mais je trouve que la piscine est aussi excellent endroit pour pratiquer la méditation et l'attention. 





Faut-il une bonne respiration pour méditer ?


On m'a récemment posé la question : je ne peux pas pratiquer la méditation de l'attention portée à la respiration, puisque je suis asthmatique. Que dois-je faire ? Il se trouve que je suis, moi aussi, asthmatique. En fait, le fait de respirer bien ou mal n'a rien à voir avec la pratique de l'attention telle qu'est enseignée par le Bouddha. Il s'agit de prêter attention à la respiration, pas de la réguler à tout prix. Même pendant une crise d'asthme, on continue à inspirer et expirer. Vous le faites difficilement du fait de la crise, mais vous le faites, sinon vous seriez mort. Il faut seulement prendre conscience de cette conscience de cette respiration et laisser l'esprit se calmer et se libérer de lui-même.







Qu'est-ce que la compassion?


        On pense parfois que la compassion consiste à s'affliger soi-même de la détresse des autres, mais, dans la philosophie du Bouddha, rien de tout cela : la compassion est définie comme le souhait ardent que les autres soient libérés de la souffrance et des causes de la souffrance.




Joie 

   Qu'est-ce que la joie spirituelle prônée par le Bouddha ?




    L'équanimité dans la méditation, l'apaisement des remous de la vie. Comment la pratiquer ? Comment la mettre en œuvre dans la vie de tous les jours ?







Méditation dans le creux du séquoia "Heart Tree" dans le parc national de Californie









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mercredi 21 septembre 2016

Love hides

Yeah
Love hides in the strangest places.
Love hides in familiar faces.
Love comes when you least expect it.
Love hides in narrow corners.
Love comes to those who seek it.
Love hides inside the rainbow.
Love hides in molecular structures.
Love is the answer.

Jim Morrison, The Doors, 1969.










dimanche 18 septembre 2016

Végane, consommateur ou acteur politique ?






     Je voudrais réagir à une vidéo-interview d'Yves Bonnardel, fondateur des Cahiers Antispécistes, sur la page facebook de « I am vegan TV ». Yves Bonnardel défend dans cette vidéo une ligne selon laquelle le véganisme n'est pas la solution-miracle pour sauver les animaux de l'immense boucherie qu'est devenu le globe terrestre. Yves Bonnardel y déclare notamment : « Je ne crois pas qu'on change le monde par une sorte d'accumulation de changements individuels ». Pour Bonnardel, le combat pour la cause animale doit nécessairement passer par un combat politique. Selon lui, il faut changer le monde en s'attaquant à ses structures sociales, à des idéologies. Il faut « s'affronter à des groupes sociaux adversaires ».

    Yves Bonnardel réfute le « Go Vegan » comme alpha et omega de la lutte antispéciste, car cela revient à avoir un traitement individuel de la question animale. On essaye de convaincre les gens uns par uns à devenir végane. C'est tout d'abord une méthode très lente qui risque d'aboutir seulement dans deux siècles. Mais en plus cela conduit à une crispation identitaire dans la communauté végane où on passe son temps à se demander ce qui est végane et ce qui ne l'est pas. On lit les étiquettes dans les supermarchés pour bien s'assurer qu'il n'y a aucun produit animal dans le produit que l'on va acheter. Et en plus, on surveille le comportement des animale véganes pour s'assurer qu'il ne commette pas des « péchés » en mangeant un œuf de la poule du jardin ou de temps en temps une barre de chocolat au lait. C'est ce qu'on a appelé la « police végane ». En-dehors des disputes extrêmement désagréable que ce flicage végane peut engendrer au regard des conséquences réelles très minimes de ces écarts, Yves Bonnardel souligne aussi que cela réduit l'activiste de la cause à sa seule condition de consommateur perdu au sein de la société de consommation, et que celui-ci cesse alors de se voir en tant qu'acteur politique.

     Selon lui, il faut revenir à un sens de la justice générale : l'exploitation animale est quelque chose d'intrinsèquement mauvais, comme pouvait l'être par le passé le servage et le régime féodal, l'esclavage, le racisme et la discrimination à l'encontre des femmes. Pour vaincre cela, il a fallu un combat politique tenace pour en venir à bout, combat qui doit bien souvent d'ailleurs être maintenu et prolongé. Pareillement, pour défendre la cause animale, il faut « avoir un esprit constructif pour créer collectivement un mouvement politique qui va intervenir dans l'arène publique ».

     Je pense qu'effectivement, un mouvement végane qui ne se préoccuperait que de ce qui se trouve dans sa propre assiette et qui aurait pour but ultime de lire les étiquettes des produits au supermarché n'irait pas bien loin. Mais néanmoins, je reste sceptique face à cette exaltation du combat politique. Yves Bonnardel dit d'abord qu'il faut s'affronter aux groupes sociaux adversaires, mais sans les nommer. Qui sont-ils ? Tout d'abord, au niveau le plus fondamental, c'est la société carniste dans laquelle nous vivions. Notre société est dans sa quasi-entiereté composée de gens qui mangent de la viande, du poisson et des produits animaux, sans que cela leur pose trop de problèmes de conscience. En tous cas, ils font tout pour ne pas garder à la conscience tout le massacre des animaux, le zoocide permanent et l'enfer que nous leur faisons vivre. Une société dans sa quasi-entiéreté, cela fait beaucoup de monde ! Le rapport des forces est clairement en notre défaveur. Bien sûr, on peut manifester contre les abattoirs. Mais je pense qu'à l'heure actuelle, le meilleur moyen de résister et d'opposer son refus au carnisme, c'est de devenir végane. Quand vous dites à quelqu'un qui vous êtes végane et que ce n'est pas pour des raisons de santé, la personne en face de vous comprend tout de suite que vous mettez en accusation tout le système de l'exploitation animale. Même si vous ne vous êtes pas du tout justifié et que vous n'avez rien dit.

      Les autres « groupes sociaux adversaires », ce sont le lobby de la viande, le lobby de la pêche, le lobby du lait, le lobby de l'élevage et puis toutes sortes d'autres groupes dont les activités tournent autour de la chasse, de la vivisection, de l'expérimentation animale, du cirque, des zoos, etc... Cela fait beaucoup d'argent et beaucoup d'emplois en jeu. Si on les attaque directement comme le voudrait Yves Bonnardel, ils vont réagir violemment pour préserver leur gagne-pain. Cela se produit déjà : récemment des activistes de la cause animale qui avaient organisé des « Nuits Debout » devant des abattoirs ont été violemment été pris à partie par des éleveurs en colère.

       Si maintenant on fait l'apologie du passage au véganisme ou en tous cas d'une alimentation plus végétale, les choses se passent plus pacifiquement. On trouve ainsi de plus en plus de laits végétaux dans les magasins bio, mais aussi dans les supermarchés classiques : lait de soja, lait de riz, lait d'avoine, etc... Ce n'est pas d'ailleurs uniquement pour des raisons de souci de la condition animale, mais souvent pour des raisons de santé, pour le souci de garder la ligne ou des questions d'allergie au lait de vache. Toujours est-il que la demande est grandissante dans cette niche, à tel point que la marque Alpro qui vend ces laits végétaux dans les grandes surfaces a été racheté par Dean Foods. Les véganes ont crié au scandale car Dean Foods est en fait une multinationale texane de produits laitiers. Cela peut paraître choquant, mais en fait pas du tout. Dean Foods a très bien compris que la production de lait de vache est en baisse et la production de lait végétal est elle par contre en nette hausse. Racheter Alpro est une opération logique pour garder des parts de marché dans le domaine du lait. Les multinationales agro-alimentaire s'adaptent au changement d'habitude des consommateurs. En cela, appeler à un changement de consommation, soit devenir végane dans sa version la plus radicale, soit devenir végétarien ou flexitarien a un impact réel sur la globalité du système agro-alimentaire.

      Il me semble aussi qu'on faut prendre en compte un fait important. Comme le disait Aristote : « L'homme est un animal politique ». On pourrait même dire le seul animal politique. Il y a bien des animaux sociaux (fourmis, abeilles, loups, dauphins, etc...) et des rapports de force dans ces groupes, mais aucune possibilité chez les animaux non-humains de penser l'organisation collective de la société et de penser d'une manière ou d'une autre les changements à accomplir au sein de cette organisation. Dans le cas de la lutte pour la libération animale, ce seront toujours des êtres humains qui demanderont à d'autres humains d'accorder plus de droits aux animaux et de faire le moins de mal possible aux animaux. Il s'ensuit que ce combat doit passer par un consensus largement partagé au sein de la population qui veut que les animaux soient des êtres doués de sensibilité et qu'il est mal et injuste de les faire souffrir inutilement. Ce consensus doit aussi arriver à la conclusion logique qu'une fois qu'on a pris conscience de cela, il est juste d'adopter un comportement qui soit en accord avec cette prise de conscience.

    Au niveau individuel, le comportement le plus en adéquation avec cette prise de conscience est le véganisme. Au niveau collectif et politique, c'est de demander l'abolition de la viande et de l'exploitation animale. Mais je vois mal comment on pourrait défendre sérieusement l'abolition de la viande avec des associations et des mouvements où tout le monde mangerait de la viande. Donc le véganisme est pour moi la base de tout mouvement politique en faveur des animaux. Il faut montrer aux gens que l'on peut végétaliser son alimentation sans danger pour sa santé, sans perte du plaisir de vivre. Le mouvement politique ne peut pas qu'être un mouvement d'interdiction et de pénalisation des pratiques d'exploitation animale. Il faut montrer et démontrer aux gens qu'abandonner l'exploitation est profitable aux exploiteurs que sont les humains, que ce soit sur un plan écologique, de santé ou humanitaire. Il faut encourager les gens à avoir une attitude non-violente envers les animaux plus que d'avoir une attitude coercitive envers tel ou tel « groupe social adversaire ».




Frédéric Leblanc, le 18 septembre 2016.















Yves Bonnardel







J'ai développé de manière plus développées ces idées sur le rapport entre démarche individuelle végane et une démarche plus globale, plus politique dans un article intitulé : "La vertu du véganisme".





Voir aussi : 


- Approches du véganisme : Le véganisme doit-il uniquement "zoocentré" (tourné vers le seul intérêt des animaux) ou faut-il aussi faire valoir les arguments écologiques, humanitaires et de santé en faveur du véganisme.




Tom Regan, une passion disciplinée

 Tom Regan donne une image intéressante du travail intellectuel et philosophique afin de justifier et d'argumenter en faveur des animaux et de faire avancer la cause : l'image d'une danseuse étoile qui vit une passion disciplinée.






À propos d'Yves Bonnardel : 

L'animalisme est-il un humanisme ? : voir le texte

     Le philosophe antispéciste Yves Bonnardel s'affirme comme anti-humaniste, voyant dans l'humanisme un rejet de la condition animale. L'humanisme est-il pour autant nécessairement une forme de mépris envers l'animal ? N'y a-t-il pas des penseurs humanistes qui ont mis en doute cette tendance à placer l'homme sur le piédestal de la Création et renvoyer les animaux à leur bêtise et à leur bestialité ? Montaigne en est peut-être le plus grand exemple. Et n'y a-t-il pas aussi dans l'humanisme une dimension de progrès et d'égalitarisme qui doit finir nécessairement par toucher les animaux ?


- Humanisme et égalité : réponses à Yves Bonnardel et David Olivier 

                     1ère partie    -     2ème partie



Penser l’homme et l’animal au sein de la Nature


    Yves Bonnardel et David Olivier, deux contributeurs des Cahiers Antispécistes, ont critiqué l'idée de Nature dans une perspective antispéciste. D'une part, parce que l'idée de Nature suppose une hiérarchie naturelle où les animaux sont considérés comme inférieurs aux être humains. Et d'autre part, parce que l'idée de Nature suppose de voir une harmonie qui régit les écosystèmes, là où il n'y a qu'une lutte infernale pour la survie. Cet article se propose de considérer ces arguments et de se demander si une mystique de la Nature est tout de même possible.









Vincent Bozzolan, Marche contre les abattoirs, Paris, juin 2016




Voir tous les articles et les essais du "Reflet de la lune" autour de la libération animale ici.

Voir tous les articles et les essais du "Reflet de la lune" autour du végétarisme et du véganisme ici


Voir toutes les citations du "Reflet de la Lune" ici.