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vendredi 15 juillet 2016

La faucille et le chemin




      Nánquán Pǔyuàn 南泉普願 était un maître Zen qui a vécu en Chine au VIIIème et IXème siècle (748-835). (NB : il conviendrait d'ailleurs de dire « maître Chán » car l'idéogramme se dit Zen en japonais et Chán  en chinois, mais le mot est plus connu sous sa forme japonaise de Zen). Nánquán Pǔyuàn avait été le disciple de Mǎzŭ Dàoyī, un des très grands maîtres de la tradition Zen. Après avoir connu l'illumination auprès du maître Mǎzŭ, il alla s'installer dans les monts Nánquán, d'où il tira son nom.


                  Nánquán Pǔyuàn 南泉普願






     Le Recueil des Cinq Sources raconte cette anecdote en forme de kōan à son propos :


     Un jour, un moine ayant été mis au fait de la grande réputation spirituelle de Nánquán, se dirigea vers les monts Nánquán. Ce jour-là comme tous les jours, Nánquán travaillait dans les champs. Le moine demanda son chemin à Nánquán : « Quel chemin faut-il prendre pour aller chez le maître Nánquán ? »

      Nánquán leva sa faucille et répondit : « Cette faucille, je l'ai payée trente sapèques1. »

      Le moine, quelque peu énervé par le manque d'à-propos de son interlocuteur, lui répliqua : « Je ne vous demande pas le prix de votre faucille, mais comment se rendre chez Nánquán ».

      Nánquán lui dit alors : « Maintenant que je m'en sers, je puis vous assurer qu'elle est vraiment tranchante ».




*****



      Quel sens donner à cette anecdote ? Faut-il seulement en chercher le sens ? Le moine s'est fait une haute idée de Nánquán, et il a fait le projet de rencontrer ce Nánquán dont on parle tant et dont on dit tant de bien. Pourtant, quand il rencontre Nánquán, il ne le reconnaît pas. L'idée d'un Nánquán, grand maître spirituel, ne colle pas avec ce moine un peu sale, suant dans son champ. Le moine est dans le futur : le moment où il espère rencontrer Nánquán, tandis que Nánquán est dans le présent, tout affairé dans son champ et se félicitant d'avoir acheté une si bonne faucille. Le moine insiste pour savoir comment trouver celui qu'il a déjà trouvé. Et Nánquán de le ramener dans l'instant présent et d'insister pour vanter les qualités de sa faucille : « Maintenant que je m'en sers, je puis vous assurer qu'elle est vraiment tranchante ». La Perfection de Sagesse est souvent symbolisée par une épée qui tranche dans les illusions. C'est en appliquant encore et encore la conscience à l'instant présent que l'esprit tranche de mieux en mieux dans l'ignorance. Voilà en tous cas mon interprétation. Peut-être Nánquán était-il seulement obnubilé par sa nouvelle faucille comme certains s'émerveillent de leur nouvelle voiture ou d'autres s'extasient devant l'application Pokemon-Go de leur smartphone...








1 La sapèque (en chinois qián) était le nom de l'ancienne petite monnaie chinoise. C'était aussi la pièce de monnaie de la valeur la plus faible, une pièce ronde en cuivre ou en bronze, percée au centre d'un trou carré.


Sapèque de la dynastie Tang













Temple dans les monts Nánquán




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