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samedi 7 novembre 2015

Le cafouillage de Myriam El Khomri




    Sur BFM TV hier, la ministre française du travail, Myriam El Khomri était l'invitée du journaliste Jean-Jacques Bourdin. Au cours de l'interview, alors qu'ils étaient en train de parler de la réforme du code du travail, de sa simplification et du CDI, le journaliste a tout d'un coup bifurqué et posé à brûle-pourpoint une question sur le nombre de fois qu'un CDD peut être renouvelé. La ministre s'est alors embourbé dans des bafouillages et autres hésitations pour finir par avouer son ignorance sur ce point précis. La vidéo a immédiatement le « buzz » comme on dit. Et j'ai pu constaté que chacun allait de son commentaire haineux sur les réseaux sociaux. C'est par rapport à ces commentaires de mépris édictés par le beauf' moyen facebookien que je voudrais réagir.





     Il est facile en effet de se gausser de la ministre El Khomri en se gaussant de son « incompétence » ou de son « ignorance », mais ceux qui hurlent avec les loups aujourd'hui auraient-ils fait mieux ? Ceux qui taxent la ministre d'incompétente, qui lui demande de « se mettre au travail » connaissaient-ils la réponse à la question de Bourdin ? Auraient-ils été capables d'expliquer en long et en large le code du travail français qui fait plus de 3000 pages quand même ? Ce que je trouve sidérant, c'est la facilité avec laquelle on sombre dans la vile démagogie : les politiciens qui sont tous pourris, tous incompétents, tous ignorants, qui « ne connaissent rien du quotidien des 5 millions de chômeurs en France ». Ce sont les mêmes qui traitent les chômeurs de fainéants, d'assistés et de profiteurs du système.

    Sur Facebook, tout le monde se croit super-intelligent, mais on ne se rend pas compte de la manipulation grossière du « journaliste » Bourdin et de sa chaîne BFM TV. Myriam El Khomri est tombée de manière évidente dans un piège, mais cela le beauf' moyen facebookien ne le voit pas, trop content de pouvoir défouler son mépris en paroles injurieuse à l'égard de la ministre, du PS, du gouvernement ou de la classe politique toute entière. Comme il est facile de manipuler les masses ! Hier, on répandait sa haine et sa frustration au bistrot du quotidien. Aujourd'hui, on se défoule sur internet et les réseaux sociaux, guidés en cela par les gens qui fabriquent au jour le jour notre consentement à un système injuste.

    Entendez-moi bien : je ne suis pas a priori un supporter de la ministre El Khomri, ni du parti socialiste français. Mais quand on dit d'une personne qu'elle est incompétente, j'attends des preuves, et des preuves nettement plus solides que celle de l'incapacité de répondre à une question malveillante du présentateur Bourdin. J'insiste sur le fait que Bourdin a clairement bifurqué du sujet pour poser à l'improviste une question technique. Le tort de Myriam El Khomri, ce n'est pas de ne pas connaître la réponse exacte (ou plus exactement d'être imprécise sur la question). Bernard Cazeneuve a bien fait de dire qu'une interview politique ne devrait pas se résumer à un Trivial Poursuite où toute mauvaise réponse est immédiatement sanctionnée. Si on regarde l'entièreté de l'interview (ce que peu de gens et peu de journalistes ont fait), on voit que Myriam El Khomri répond sans problème à Jean-Jacques Bourdin et qu'elle connaît ses dossiers. Le tort de Myriam El Khomri, c'est l'erreur de communication magistrale d'être tombée la tête la première dans le piège de Bourdin. Probablement un manque d'expérience. Un vieux briscard de la politique ne serait pas tombé dans le panneau. Mais cela ne remet en question ni sa compétence, ni son honnêteté.

     Je n'entends en fait personne m'expliquer en quoi ne pas connaître la réponse à la question de Bourdin est un enjeu fondamental pour la politique française. Y a-t-il un débat sur la question ? Y a-t-il des revendications des travailleurs précaires qui sont touchés par ces mesures ? Y a-t-il des propositions par les syndicats ou par les organisations patronales pour augmenter ou diminuer le nombre de fois où un contrat en CDD peut être renouvelé ? Personne dans l'agitation médiatique autour du cafouillage de Myriam El Khomri ne met en perspective cette question qui me paraît quand même élémentaire ! Cela montre bien que l'intervention de Jean-Jacques Bourdin ne visait pas l'utilité de remonter le niveau du débat dans la politique française sur la question de la réforme du code du travail, mais bien de créer le buzz au dépens de la ministre du travail !

    Il faudrait donc interroger la réforme avancée par Myriam El Khomri en elle-même, voir ce qui est positif ou négatif de manière minutieuse. Mais c'est un sujet vraisemblablement ennuyeux qui demanderait trop de travail aux journalistes français, eux qui préfèrent jaser à longueur de journée sur un bref échange verbal dans lequel Bourdin est sorti victorieux. Bourdin a peut-être ridiculisé pour le coup la ministre et j'imagine qu'il doit savourer sa passe d'armes, mais il n'a en rien montré l'inanité de la réforme du du ode du travail. C'est cette réforme qu'il faudrait questionner et pas les prouesses rhétoriques de Myriam El Khomri (ou son manque de prouesse rhétorique). Je n'ai pas étudié le dossier, mais comme cette réforme est téléguidée visiblement par Manuel Valls et par Emmanuel Macron, on peut s'attendre à quelque chose qui ait dans le sens du social-libéralisme. Est-ce une bonne chose pour la France et les travailleurs de France ? Je l'ai l'impression que non, mais je laisserai ici le débat en suspens. Je me contenterai de pointer du doigt le fait que c'est par là que doit s'orienter le débat et vers là aussi que la pédagogie des journalistes devraient s'exercer : expliquer aux travailleurs les enjeux sociaux, économiques et politiques à l’œuvre derrière cette réforme.

    Et c'est cela qui est problématique dans le journalisme aujourd'hui, au lieu de fournir des études détaillées et démonter les mécanismes qui créent de l'injustice ou de l'inégalité dans le pays, on préfère se gausser d'un bon mot d'un politique, rire de la maladresse d'un autre, ricaner quand la réputation d'un autre est salie pour une affaire qui n'a rien à voir avec la politique. Tout n'est qu'un spectacle, une comédie où seule compte la qualité des communicants qui sont derrière vous. Après, les véritables problèmes du petit peuple, ça, on s'en fout. On prétend devant les caméras que l'on n'a que ça en tête, mais tant les journalistes que les politiques ne se préoccupent de rien d'autre que de ce show politique permanent. Et ils auraient tort de ne pas s'y plier puisque les citoyens sont avides à la télévision ou sur les réseaux sociaux de ce spectacle où tout est résumé à un slogan, un bon mot ou un cafouillage.

   Il me semble que la sagesse voudrait que, dans cette histoire, l'on en se mette pas à crier avec les loups. Être un citoyen ou une citoyenne exige que l'on relève le niveau du débat et qu'on fasse effort pour comprendre les enjeux économiques, politiques, sociaux ou écologiques qui se cachent derrière chaque réforme. Et si l'on n'a pas fait cet effort, qu'on ne se mette pas à crier avec tout le monde, parce qu'en l'occurrence n'est pas celui ou celle qu'on accuse d'ignorance, mais bien nous-mêmes qui avons la bêtise de nous croire supérieur à ces hommes ou femmes politiques, alors que nous ne sommes que des moutons bêlants parmi d'autres dans le troupeau.




     Frédéric Leblanc

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