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mercredi 24 décembre 2014

Regarde bien petit

Regarde bien petit
Regarde bien
Sur la plaine là-bas
À hauteur des roseaux
Entre ciel et moulins
Y a un homme qui vient
Que je ne connais pas
Regarde bien petit
Regarde bien


Est-ce un lointain voisin
Un voyageur perdu
Un revenant de guerre
Un montreur de dentelles
Est-ce un abbé porteur
De ces fausses nouvelles
Qui aident à vieillir
Est-ce mon frère qui vient
Nous dire qu'il est temps
De moins nous haïr
Ou n'est-ce que le vent
Qui gonfle un peu le sable
Et forme des mirages
Pour nous passer le temps

Regarde bien petit
Regarde bien
Sur la plaine là-bas
À hauteur des roseaux
Entre ciel et moulins
Y a un homme qui vient
Que je ne connais pas
Regarde bien petit
Regarde bien

Ce n'est pas un voisin
Son cheval est trop fier
Pour être de ce coin
Pour revenir de guerre
Ce n'est pas un abbé
Son cheval est trop pauvre
Pour être paroissien
Ce n'est pas un marchand
Son cheval est trop clair
Son habit est trop blanc
Et aucun voyageur
N'a plus passé le pont
Depuis la mort du père
Ni ne sait nos prénoms

Regarde bien petit
Regarde bien
Sur la plaine là-bas
À hauteur des roseaux
Entre ciel et moulins
Y a un homme qui vient
Que je ne connais pas
Regarde bien petit
Regarde bien

Non ce n'est pas mon frère
Son cheval aurait henni
Non ce n'est pas mon frère
Il ne l'oserait plus
Il n'est plus rien ici
Qui puisse le servir
Non ce n'est pas mon frère
Mon frère a pu mourir
Cette ombre de midi
Aurait plus de tourments
S'il s'agissait de lui

Allons c'est bien le vent
Qui gonfle un peu le sable
Pour nous passer le temps

Regarde bien petit
Regarde bien
Sur la plaine là-bas
À hauteur des roseaux
Entre ciel et moulins
Y a un homme qui part
Que nous ne saurons pas
Regarde bien petit
Regarde bien

Il faut sécher tes larmes
Il y a un homme qui part
Que nous ne saurons pas
Tu peux ranger les armes

Jacques Brel


    J'aime beaucoup cette chanson peu connue de Jacques Brel qui chante la peur mêlée à l'espérance dans le décor des plaines de la Flandre médiévale. Un homme approche au loin "à hauteur de roseaux entre ciel et moulin" que le personnage incarné par Brel ne connaît pas. Qui est donc ce mystérieux inconnu ?

   Est-ce "un voyageur perdu, un revenant de guerre, un montreur de dentelles" ou "est-ce un abbé porteur de ces fausses nouvelles qui aident à vieillir"? A moins que ce ne soit le frère avec qui a du éclater une dispute qui a conduit à la rupture, à la haine et au ressentiment ? "Est-ce mon frère qui vient nous dire qu'il est temps de moins nous haïr"? Ou alors nos peurs et nos espérances ne nous font-ils voir que des mirages insensés ? "Ou n'est-ce que le vent qui gonfle un peu le sable et forme des mirages pour nous passer le temps"? 

      On reconnaît là un thème proche du proverbe romain de Plaute repris comme devise par Thomas Hobbes : "L'homme est un loup pour l'homme". L'autre est une menace claire pour nous, ou tout du moins une déception (un voyageur perdu, un colporteur avec ses dentelles de Bruges ou encore un abbé porteur de ces fausses espérances dans un ailleurs peu probable, où l'on reconnaît l'anticléricalisme de Brel). Mais cependant la chanson de Brel est plus subtile car subsiste en nous l'espérance que l'autre soit porteur de réconciliation et de fraternité.

     Le personnage se répand alors en spéculation au près de son fils sur qui pourrait bien être l'inconnu écartant une à une les hypothèses. Mais l'autre rebrousse finalement chemin restant définitivement un inconnu. C'est là une cruelle déception: "Il y a un homme qui part que nous ne saurons pas. Il faut sécher tes larmes". Pourtant, si l'homme est reparti avoir de les avoir rencontré, c'est certainement du fait même de leur attitude comme on l'apprend dans le dernier ver de la chanson : "Tu peux ranger les armes". La peur et l'espérance combattent en chacun de nous et rendent souvent nos relations à l'autre difficiles et conflictuelles.







Voir aussi de Jacques Brel : 
- Il neige sur Liège 

Voir toutes les citations du "Reflet de la Lune" ici.

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