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dimanche 12 janvier 2014

Contre la soi-disant impossibilité de définir l'antisémitisme de Jean Bricmont

Je viens de voir l’émission « Ce soir ou jamais » sur France 2 où le débat quelque peu houleux portait l’interdiction des spectacles de Dieudonné. L’intervention du physicien belge Jean Bricmont y était particulièrement remarquable et surtout éminemment contestable. C’est pour contester ces arguments en faveur de Dieudonné que je voudrais m’attarder ici sur ce débat.

On pourra trouver ici le lien vers l’émission de France 2 et une interview de Jean Bricmont où celui-ci explique avec plus de sérénité, puisqu’il n’a pas de contradicteur, ces vues en matière de liberté d’expression.

L’argument de Bricmont est donc de dire que l’on ne parvient pas à définir clairement ce qu’est l’antisémitisme. Lui-même rappelle qu’il est un scientifique confirmé et qu’à ce titre il aime pouvoir définir clairement avec des concepts précis le phénomène qu’il est en train d’analyser et d’observer. Mais le fait qu’il est physicien ne rentre en rien en ligne de compte : c’est juste pour lui un moyen commode de se faire passer pour quelqu’un de compétent et de cohérent dans son analyse des choses, ce qu’on appelle en philosophie un « argument d’autorité » : je suis physicien, donc je suis nécessairement plus rigoureux dans ma pensée que des littéraires, et donc vous devez me croire. Il me semble néanmoins que l’on ne peut sérieusement étudier le phénomène de l’antisémitisme de la même façon qu’on étudie le boson de Higgs…


Mais revenons à Bricmont, celui-ci dit : « regardez, si on demande le droit au retour des Palestiniens, on est taxé d’antisémitisme ; donc on ne peut pas définir clairement l’antisémitisme ». C’est très contestable comme argumentation. En effet, cela revient à nier toute accusation d’antisémitisme : à ce jeu-là, Hitler ne faisait que critiquer gentiment dans « Mein Kampf » la ploutocratie qui gouvernait alors le monde et dans laquelle il faut bien le dire, se trouvait nombre de Juifs… Faurisson ne faisait que son travail d’historien ; et ce n’est quand même pas sa faute s’il heurtait les convictions profondes du lobby juif…  Non, ce n’est pas sérieux.

Il faut commencer par définir l’antisémitisme à la grosse louche. Par exemple : « L’antisémitisme, c’est manifester de la haine contre les Juifs non pour ce qu’ils font, mais pour ce qu’ils sont » ou « L’antisémitisme, c’est faire des généralités haineuses à l’encontre des Juifs. Dire par exemple que tous les Juifs sont avares et cruels et qu’ils conspirent pour établir un nouvel ordre mondial avec les francs-maçons ». A partir de cette définition grossière, il va effectivement y avoir des querelles d’interprétation. Est-ce que soutenir le droit au retour des Palestiniens fait de nous un antisémite ? Probablement qu’un certain nombre de juifs ou de sionistes vont hurler au loup et dire que « oui, vous êtes un sale antisémitisme ». Je pense personnellement que demander le droit au retour n’est absolument pas de l’antisémitisme. Il me semble que c’est un droit tout à fait évident et que la colonisation israélienne est basée sur la violence et le déni du droit des Palestiniens. Mais à partir de ce genre de controverses, il faut tenter d’échafauder une définition plus fine et plus cohérente de cet antisémitisme, en sachant qu’il y aura toujours des désaccords et des controverses sur ce genre de débat sensible. La faute morale et intellectuelle de Jean Bricmont est de vouloir d’emblée une définition précise du phénomène « antisémitisme » sans accepter qu’il puisse y avoir débat, arguments et contre-arguments sur cette question, et que la définition de ce qui est acceptable et de ce qui est inacceptable en matière d’antisémitisme et de racisme évoluera et se précisera dans les cas-limites en fonction de ces débats.

Ce faisant, Jean Bricmont permet qu’on dépasse allégrement la ligne rouge en permanence comme l’a fait Dieudonné. Qu’il soit difficile, voire impossible d’établir les limites de ce qu’est ou n’est pas l’antisémitisme ne doit pas nous faire oublier qu’il y a un antisémitisme ! Bricmont, à force de sophismes, voudrait faire croire que l’antisémitisme est une notion purement subjective qui relève de la conscience de chacun et que chacun a le droit d’exprimer ses opinions. Mais quand ces opinions deviennent une incitation à la haine raciale, cela devient un délit qui doit être empêché et condamné. Je ne me prononcerai pas ici sur le bien-fondé ou non d’interdire le spectacle de Dieudonné, si c’est efficace ou pas, si c’est utile ou pas, si ça va lui faire de la publicité ou non… Mais toujours est-il qu’il est trop facile de réduire Manuel Valls à sa seule dimension sioniste pour lui dénier tout droit d’interdire des comportements délictueux et criminels, à savoir propager la haine raciale dans la société française.    

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            J’avais un ami proche, Gaëtan, qui a commencé à faire des blagues à connotation raciste à l’encontre des Noirs, des Arabes et des Turcs. Au début, cela ne paraissait pas méchant. Puis son discours est devenu de plus en plus corsé, ses blagues étaient de plus en plus dévalorisantes et dégradantes. Il s’énervait et montait sur ses grands chevaux quand il voyait une blanche sortir dans la rue avec son copain black ou arabe. Mais quand je lui faisais des remarques, il me répondait que c’était de l’humour, quand il appelait les Turcs des « Tchouks », les Arabes, des « Maroufs », c’était du second degré. Un soir, dans sa voiture, il m’a demandé de choisir une fréquence de radio avec de la musique sympa pour faire la route. Je suis tombé sur une émission de musique africaine. Et là, il m’a crié : « Ah non, tu ne vas pas mettre cette musique de bamboula ». Les propos haineux et racistes n’ont fait qu’empirer de semaine en semaine. J’ai fini par ne plus le supporter. Cela fait plus de douze ans que je ne l’ai plus vu. Ce que je veux dire par là, c’est que cela vient insidieusement, et qu’il ne faut pas minimiser ce qui pourrait s’apparenter à des blagues potaches. Il m’est déjà arrivé de rire à des blagues racistes, mais quand ces blagues sont répétées à longueur de journée….

            Jean Bricmont, en bon partisan de la liberté d’expression, ne comprend pas que les propos dits humoristiques sont l’antichambre de discours et d’actes discriminatoires, haineux et violents. On commence par utiliser l’humour pour sous-entendre ce qu’on ne peut pas dire, parce que l’on sait que c’est mal. Puis on s’enhardit, et on en vient progressivement à tenir des discours radicalement haineux, souvent camouflés par un double discours et par des allusions : Dieudonné ne dit jamais « envoyons les Juifs dans des camps de concentration et exterminons-les ». Même les nazis pendant le 3ème Reich ne l’ont pas dit expressément ; pourtant, ils l’ont fait. Donc Bricmont aura toujours le loisir de dire qu’il n’y a pas d’affirmation claire de l’antisémitisme, pas d’incitation directe à massacrer les Juifs ; pourtant, les allusions surabondent dans son discours soi-disant humoristique ou dans ces vidéo-conférences ; et cette répétition constante d’allusions haineuses fait que l’on peut raisonnablement taxer Dieudonné d’antisémitisme. Tout le monde comprend où il veut en venir. Quand je dis « tout le monde », c’est les pros et les anti-Dieudonné…

J’ai croisé,  il y a quelques années, dans le bus un Arabe qui, voyant que je lisais une Histoire des idées politiques, a cru bon de me dire qu’il avait lu « Mein Kampf » et qu’Hitler avait de très bonnes idées politiques envers les Juifs…. Suite à cela, je suis devenu sioniste sous le coup de colère, mais pour une demi-heure seulement… Après cette demi-heure, la raison a repris le dessus et m’a poussé à penser que je ne pouvais pas décemment soutenir Israël. Mais pour Bricmont, c’est une opinion tout à fait respectable avec qui on doit pouvoir discuter. Admirer Hitler pour avoir trouvé une solution afin de mettre un point final au problème juif est une attitude qui a parfaitement le droit de s’exprimer. Et toute velléité de s’opposer à ces discours est une censure monstrueuse et fasciste prônée par un État totalitaire….


En conclusion, on peut légitimement débattre sur la question de l’efficacité de la censure et l’interdiction de Dieudonné. On pourrait aussi légitimement se demander pourquoi Dieudonné en est arrivé là. Si je puis me permettre de citer un philosophe juif qui n’était pas en odeur de sainteté parmi les Juifs et les chrétiens, Baruch Spinoza : « En ce qui concerne les actions humaines, ne pas railler, ne pas pleurer, ne pas même détester, mais comprendre ». Mais mettre en doute l’antisémitisme de Dieudonné sous prétexte que les frontières de l’antisémitisme sont floues et difficiles à déterminer et fait l’objet de débats divers me paraît excessivement contestable de la part de Jean Bricmont. On peut contester la localisation exacte de la frontière entre la France et la Belgique : est-ce que cet arbre ou ce champ de betteraves entre Binche et Maubeuge est français ou belge ? Est-ce que cette dune entre La Panne et Bray-Dunes est-elle française ou belge ? Mais toujours est-il que Bruxelles fait partie de la Belgique et Paris fait partie de la France ! Cela n’est pas contestable !  Et cela ne touche pas que l’antisémitisme. Le même débat peut se porter sur l’islamophobie : où finit la critique légitime de l’islam et où commence l’islamophobie répugnante ? En partisan de la laïcité, je suis contre le port du voile à l’école. Beaucoup d’islamistes diront que je suis islamophobe. Or pour moi, il s’agit de faire respecter la même règle à tous et il n’y a aucune islamophobie là-dedans. Être islamophobe, ce serait dire que tous les musulmans sont tous des terroristes qui viennent bénéficier des allocations sociales en Europe… Ce genre de discours, quoi…  Malheureusement, il y a plein de gens qui le disent ou alors qui font des allusions… Il y aura toujours des débats sur ce qui doit être condamné ou pas au marge de l’antisémitisme ou de l’islamophobie; mais il faut prendre conscience qu’il y a un moment où on franchit une ligne rouge où on s’enfonce dans un racisme viscéral, et cela est condamnable. Quoiqu’en dise Jean Bricmont.


Bai Wenshu, le 12 janvier 2014.

1 commentaire:

  1. C'est quoi alors l'antisémitisme ?
    Dieudonné ne dit jamais « envoyons les Juifs dans des camps de concentration et exterminons-les ». Même les nazis pendant le 3ème Reich ne l’ont pas dit expressément ; pourtant, ils l’ont fait. Vous établissez des liens logiques dans le sens de ce que vous pensez être la lutte contre l'antisémitisme, que par ailleurs vous êtes incapable de définir. Ça s’appelle tourner en rond, c'est la roue du Dharma.
    On a pas le droit de contester l'histoire écrite, loi Gayssot.
    A-t-on le droit de critiquer Israël et ses exactions meurtrières, ainsi que ses projets funestes ? A-t-on le droit de critiquer la communauté juive française si l'on pense qu'elle soutient systématiquement tout ce que fait Israël ? Si c'est ça l'antisémitisme alors sans nul doute il va monter. Parce que les gens commencent à se rendre compte, quand même, du chantage permanent à l'antisémitisme. A-t-on le droit de défendre son pays, et de défendre la paix, et s'il faut pour cela se faire traiter d'antisémite ? .. Mais par contre, Charlie Hebdo, ça c'est la liberté d'expression. Quelque chose ne tourne vraiment pas rond dans tout ça.
    Bon blog, mais c'est comme souvent chez Bouddha, on craint la manifestation, on préfère la vacuité de l'esprit. C'est le talon d’Achille du Bouddha.

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